Carnets de route Odyssée Karavana 2019
Odyssée Karavana - épisode 1
Odyssée Karavana - épisode 2
Odyssée Karavana - épisode 2bis
Odyssée Karavana - épisode 3
Odyssée Karavana - épisode 4
Odyssée Karavana - épisode 5
Lundi 3 juin
L’Odyssée continue!
À la Vallée de Joux, il y a eu la neige. À Yverdon la pluie, la grêle et la tempête : une commission de sécurité est même venue inspecter notre campement voir s’il fallait évacuer le site pour cause de chutes d’arbres. À Thessalonique le vent s’est également déchaîné. Et la canicule. Hier à Plovdiv (rebaptisée Plouf-Dif depuis) Zeus a déclenché un orage dantesque à coup d’éclairs et de tonnerre... durant des heures. Un déluge jamais vu ici. La ville totalement inondée, coupée, bloquée. Et notre site également. Peu à peu l’eau est montée. Le chapiteau devenait lac, dans la yourte du théâtre des chemins le spectacle a eu lieu avec acteurs et spectateurs les pieds dans 20 cm d’eau. Ambulans Théâtre et leur spectacle de plein air Villagea été annulé. Dans notre espace de jeu terre et mer se mettaient à exister ensemble dans un même espace. Nous ne jouons pas avant jeudi…
Pour finir toutes les compagnies se sont retrouvées au restaurant Happy Joe à l’autre bout du parc. Nous étions tous trempés, pieds nus ou baignant dans des bottes gorgées d’eau. Telles des îles les tables flottaient presque. Il y avait celle des italiens, des belges, des français et des suisses. Et puis le chant Plovdiv Karavana entonné en commun a jeté des passerelles entre les tablées. L’équipe du théâtre des chemins a été dormir en ville chez leur ami bulgare Drasko, jouant aux réfugiés climatiques. Un acteur d’Ambulans a été dormir au sec dans notre semi-remorque, les autres se sont regroupé dans la tente berbère. Gilbert s’est retrouvé coincé durant 1 heure au milieu de nulle part débarqué par un bus qui ne pouvait aller plus loin. Andréas des Arts Nomades qui avait un véhicule heureusement hors du site est aller le récupérer. Et les éclairs qui frappaient à droite et à gauche.
Dans le théâtre itinérant nous savons bien qu’il y a toujours des imprévus à gérer… Nous sommes très en contact avec les éléments mais quand ils se déchaînent… Les équipes sont solides et solidaires.
Ce matin nous avons pu répéter sur un demi-terrain. Il nous faut intégrer Ilyana, Sveta et Boris dans le spectacle. Quelques gouttes et un timide soleil. La Yourte a été déplacée. Le public est venu néanmoins. Il y a déjà des habitués ! Quelques enfants dont un jeune garçon toujours très bien habillé avec une mèche sur le côté. Il était très sérieux, étonnamment précis et impliqué dans l’apprentissage de la chorégraphie belge de Y’a d’la joie. Un tout petit véritable pile électrique sautillait dans tous les sens et toujours à contre temps mais avec un bonheur indicible. Deux rangs derrière une dame approchant la soixantaine avec une coupe d’une blondeur presque fluorescente arborait un tee-shirt vert printemps et s’enivrait de joie en dansant. J’ai également repéré parmi les habitués une dame toujours hilare trimballant partout dans une poussette géante une paire de jumeaux incroyablement curieux et attentifs, ils doivent avoir tout juste un an, ces petits fils probablement. Elle était déjà là le premier jour restant jusqu’à 22h avec ses jumeaux à roulettes. Un jeune handicapé se trimballant avec son mp3 collé à une seule oreille et toujours en débardeur noir ne rate pas une journée ; Il semble être totalement ravi de tout ce qu’il voit, un ange tombé du ciel. Oui c’est ça, le public est tellement peu habitué à voir chez lui quelque chose qui se passe qu’il est d’une ouverture totale, prend tout ce qu’il peut. Une naïveté première, tellement simple, bienveillante et merveilleuse qu’elle vous touche en plein cœur.
Au fond, malgré les galères rencontrées sur la route et les vicissitudes de la météo tout le monde est heureux d’être là, conscients que nous vivons quelques choses de rare et précieux.
Les compagnies vivent des réalités très différentes. Pour Ambulans Théâtre par exemple, il n’y a pas de salaire. Ils sont partis à 5 au mois de novembre et sont venus à pied accompagnés de quelques chevaux et roulottes. Ils donnent généralement leur spectacle dans les villages ; Les gens sont plus généreux et n’hésitent pas à leur offrir fruits, légumes, pain et vin de leurs production. L’argent récolté leur permet de manger et de continuer à avancer… Ils sont donc trente au final (18 jouent dans le spectacle qui évolue en cours de route). Et ils rentreront à pied. Les ardéchois du théâtre des chemins créent sous leur yourte un jardi-cabaret à l’issue des divers ateliers qu’ils donnent en amont dans l’après-midi. Lutherie végétale, feutre, bois, danse, etc… Le vert est la couleur de leurs personnages déjantés et loufoques ; une énergie très joyeuse et contagieuse. Le Teatro Nucleo de Ferrare suit une ligne bien plus contemporaine et engagée politiquement. Craignant la pluie ils ont fait une déambulation dans le parc voisin avec les extraits de leur spectacle. Cela me rappelle nos années Grotowski avec des montages un peu surréalistes mais néanmoins poétique.
Les Arts Nomades de Lessines en Belgique invitent les spectateurs à endosser un casque audio puis suivre les instructions des chasseurs de joie sauvage, tout propre et habillés de noir. Les spectateurs sont parqués dans une file d’attente. Quatre podiums encadrent le tout avec manipulation d’objets miniatures et fantaisistes. Évidemment le petit mouton noir ne suit pas le droit chemin et les pompons vont contaminer tout le monde. « Y’a d’la joie » finira par une danse endiablée généralisée et colorée où la machine à bulles à savon s’en donne à cœur joie. Humour belge garanti !
Mardi 4 juin
Jamal et les Nouveaux Disparus ouvrent leur site à Stolipinovo, quartier Rom. Avec 4 jours de retard mais comme l’ambassadeur de Belgique débarque, on met tous le paquet. Tous les artistes des sites Trakia et Grebna Baza se retrouvent pour une parade dans le quartier Rom.
Stéphane est là avec son gigantesque cheval. Les rues commencent à rétrécir, le macadam fait place à la terre battue et aux flaques opaques. Tout le monde sort de chez lui sur le pas de la porte de leur maison, leur appartement, leur boutique. Tout est de bric et de broc, une sorte de bidonville au milieu de grands ensembles soviétiques et décrépis. Des milliers d’antennes paraboliques en guise d’ouverture sur le monde. Des chiens aboient, des gamins crient, les grands-mères sont hilares et ont le sourire éclaté de quelques dents rares. Tout le monde est ébahi de voir défiler chez eux une cohorte de musiciens et d’acrobates aux airs balkaniques très entrainant. Cela jongle parmi les éclats de rire, un comédien juché sur de hautes échasses dépasse de la foule et court poursuivi par des nuées d’enfants moineaux. Cela vole dans les plumes avec bonheur. C’est vraiment incroyable et bouleversant. J’ai l’impression d’être plongé dans un film de Kusturica ou dans Latcho Drom. Une énergie brute incroyable. Directe, voire primitive, comme un grand carnaval des temps révolus. Nous sommes pourtant en Europe. Tout au bout certes, aux portes de l’Orient. Il me pleut des larmes à l’intérieur… Me rappelle les années marseillaises où étudiant je faisais un peu d’alphabétisation et d’animation dans le bidonville de La Cayolle, coincé entre le quartier huppé et sécurisé du Roy D’Espagne et la prison des Beaumettes. À la différence que là nous sommes nombreux et en musique ! C’est un moment unique gravé à jamais. Une extrême pauvreté à peu près partout, des collines d’immondices où se côtoient les tripes en plein ciel d’une boucherie et les sacs plastiques aux parfums d’enfer. Puis un jeune caïd impeccable, le poignet serti de Rolex au bout duquel pend nonchalamment par la fenêtre une main tente de manœuvrer son Audi dernier cri entre les trous, les pavés, les gamins et les musiciens. Des filles trop jeunes pour être mères portent des enfants dans leurs bras ; c’est plein de couleurs et de bonheur sauvage. Le cheval gigantesque impressionne. J’ai d’ailleurs aperçu quelques charrettes sur le bas-côté. Quelques gamins finiront par laisser tomber les cailloux qu’ils avaient préparé. Le charme et la magie opèrent. J’ose prendre quelques photos et demandent aux gens s’ils sont d’accord. Ils sont ravis ! Nous arrivons sur le site des Nouveaux Disparus, enfermé entre 4 murs au sein d’une école. De l’herbe folle en guise de cour d’école. Une scène est installée, les musiciens grimpent, les enfants peuvent enfin rentrer, c’est la déferlante, la musique et la danse reprennent leurs droits. L’ambassadeur de Belgique et son attaché culturel sont les seuls en costards mais sont bienheureux et tranquilles au milieu de toute cette jeunesse. Un apéro attend les artistes à l’arrière du chapiteau. Nous retrouvons les Nouveaux Disparus réapparus après leur odyssée sur les routes. Nous rentrerons avant la soirée à Trakia où les spectacles s’enchaînent. Nous avons chamboulé les horaires, car après 21 h il n’y a plus personne sur le site.
Nous nous endormons bien plus tard tombant comme des pierres.
Plouf !
Div…
Odyssée Karavana - épisode 6
Odyssée Karavana - épisode 7