Carnets de route Odyssée Karavana 2019
Odyssée Karavana - épisode 1
Odyssée Karavana - épisode 2
Odyssée Karavana - épisode 2bis
Odyssée Karavana - épisode 3
Odyssée Karavana - épisode 4
Odyssée Karavana - épisode 5
Odyssée Karavana - épisode 6
Odyssée Karavana - épisode 7
Épisode 7
Je suis sur le Ferry du retour, sur le pont supérieur déjeunant au soleil, un café à 4 euros noyé dans un gobelet en carton de la Minoan compagnie. Avec Chantal et ses 2 capuccinos, France et Andréas et leur fille Ambre au corps tatoué. Une brise légère nous fait oublier la canicule grecque. Alain-Serge surgit et nous dit tout de go : « Je vous quitte à Ancône et pars directement sur la France ». Petit silence et tous ensemble de l’imaginer avec son 4x4 et sa petite caravane rouge des années 70 flottant sur la grande bleue cherchant à rejoindre la terre. Une belle image de l’Odyssée. Nous sommes tous des Ulysses en quête de retour.
À Thessalonique, il y a 2 jours, 3 marins manquaient à l’appel ; outre Pénélope-Verena toujours à Francfort veillant sur sa maman, Circé-Corinne est restée en Bulgarie avec un Iveco dont l’embrayage a lâché. Cinq heures de solarium forcé au bord de l’autoroute à attendre les secours ; heureusement accompagné de U-Louis-se, notre marin solitaire et solidaire. Corinne et Louis passeront donc une nuit chaste à l’Hôtel Eros, ça ne s’invente pas.
Corinne attendant la réparation prendra le ferry suivant. Louis et son camion nous rejoindra à temps. Nous avons pu lui trouver un billet pour éviter le tortueux chemin de la Roumanie.
Petit retour en arrière (procédé largement utilisé par Homère dans son Odyssée)
Vendredi passé, deuxième représentation d’Odysséia ; c’est le branle-bas de combat, car Mme l’Ambassadrice Muriel Berset-Kohen et son attachée culturelle Thedora Burgudzhieva sont annoncées pour les représentations d’Iliade Foreveret Odysséia. Nous sommes en train de nous maquiller devant nos caravanes vertes. Elles arrivent ! Mme l’Ambassadrice se présente, Yvan lui demande sa carte d’identité prétextant que c’est la quatrième personne prétendant à ce titre. Tout sourire elle joue le jeu et tend sa carte de visite, la glace est brisée ; et de toute façon il n’y avait pas de glace mais plutôt une chaleureuse bienveillance.
Elles furent émerveillées par leur soirée ; nous les remercions pour leur réel soutien (et par la suite leur rapport dithyrambique). C’est grâce à l’intervention de Mme l’Ambassadrice que le refus de soutien de Pro Helvetia a été reconsidéré pour aboutir à une réponse positive. À Zürich nous sommes loin de l’Europe semble-t-il, il a fallu leur expliquer l’importance d’une Capitale Européenne de la Culture… Et merci à Nathalie notre chargée de projet d’avoir facilité toutes ces démarches !
Une représentation est finalement un petit voyage en soi avec son lot d’aventures et d’imprévus. Comme cette coupure de courant en plein milieu de spectacle coupant le micro à nos lecteurs bulgares déconcertés, avec une bande son plongeant dans un silence abyssal. Les effets lumières virèrent au noir ; heureusement en plein jour ! Le courant est revenu très rapidement, mais il a fallu quelques minutes pour relancer l’ordinateur et son programme. Le fin mot de l’histoire, nous l’avons eu par Stéphane (Le Centaure aux chevaux Géants !) : Une brave dame est sortie par l’arrière et s’est encoublée dans le câble électrique principal. Stéphane s’est empressé de rebrancher les 2 grosses prises tout en les scotchant à tour de bras. Nous lui devons une fière chandelle pour nous avoir rendu la lumière !
Les derniers jours sont passés à une vitesse folle ; après 3 ans de préparation la fin d’un projet arrive toujours trop vite… La troisième et dernière représentation fut de toute beauté et chargée d’émotions. Sveta, Ilyana et Boris étaient très émus, nous aussi. Nous étions tous un peu sonnés. Nous commençons le démontage dans la foulée… La soirée verra débarquer les Nouveaux Disparus de Stolipinovo, le quartier Rom. S’enchaîneront les chants et la musique. Tous les musiciens des compagnies s’en donnent à cœur joie. Un bulgare sort une cornemuse instrument typique du pays ! Mais assez bruyant. La police débarque vers 1h du matin nous demandant de baisser un peu le son… Cela durera jusqu’à 5h du matin plus en sourdine pour certains. Mais revenons à notre joueur de cornemuse : un couple de sexagénaires bulgares chantera et dansera. Réponse de quelques musiciens bretonnants de chez nous avec un air celtique ; stupeur : notre jeune et jolie Sveta (et méga timide !) esquisse un pas de danse bulgare entrainant derrière elle une tarentelle de danseurs de tous pays.
La musique et la danse sont véritablement vecteurs de rapprochement au-delà des frontières. À cela nous pouvons rajouter la cuisine.
Au-fond, il s’agit toujours de la fête des corps.
Au-delà de la parole et des mots, comme si ces derniers rappelaient les frontières et pouvaient être source d’incompréhension…
Le lendemain, dimanche, une journée de scène ouverte, familiale et bon enfant avec artistes locaux de tout âge : petites filles aux belles voix chantant en anglais des tubes de Youtube, un jeune handicapé mental coutumier du parc dansant sur du Mickael Jackson, un grand brun aux cheveux noirs et longs chantant à la guitare ses compositions désaccordées, un illusionniste adolescent maniant les cartes avec brio. Merci à Laurent et son équipe d’avoir organisé tout cela. Laurent a toujours le sens du détail et aime embellir les espaces qui l’entourent. Il n’y a qu’à voir sa caravane ornée de guirlandes et de tableaux récoltés dans les décharges de Fix-In-Art.
Le soir je me fais le devoir d’aller voir le cabaret du collectif Barakata sur le 3èmesite de Grebna-Basa. Très réussi et enchanteur quand on sait qu’il a été réalisé par plusieurs compagnies bien disparates.
Pendant ce temps, à Trakia, notre équipe emportée par Yasmine dégainait caquelons et croutons pour une Fondue Partie générale ! Un régal partagé entre artistes et habitants.
Le lundi : dernier jour officiel
L’après-midi, la Parade au centre-ville.
Après de longues longues longues attentes dans le parc Tsar Siméon au centre-ville, toutes les compagnies sont enfin regroupées. Nous sommes plus d’une centaine, colorés, grimés, costumés. Les musiciens sont nombreux. Quatre morceaux seront entonnés en chœur par tous, dont l’hymne Odyssée Karavana ; Ce dernier morceau s’est vu renforcé par quelques mesures boostées par les percussions au tempo tsigane ! Le cortège s’ébranle dans une joyeuse cacophonie rappelant les défilés carnavalesques. Les arTpenteurs et les Arts Nomades font corps commun, reprenant notre parade thessalonnienne. Sveta, Ilyana et Boris sont évidemment de la partie. Nous pensons à Verena qui tenait haut et droit la fresque du navire d’Ulysse. Sveta tiendra la barre. Quatre bannières peintes par les enfants du quartier de Trakia baliseront verticalement notre ensemble. Nous traversons l’axe principal et piéton de la ville. Les belles façades mélangées d’Orient et d’Occident nous voient défiler un peu sidérées. Trois places permettent de nous regrouper. Les morceaux sont puissants et entrainants. Évidemment au premier rang des passants la cohorte des smartphones dégainés haut les mains.
Il y a des frissons dans l’air, la conscience diffuse qu’une incroyable aventure est en train de se terminer. Ça se mêle à l’étonnement des passants qui n’ont jamais vu un tel événement se produire dans leur cité. Et puis le dernier morceau s’éteint, une photo nous regroupe, il est 19h05, l’autorisation de défiler est terminée depuis 5mn, les policiers consultent leurs montres, et cherchent du regard le responsable de la parade. Une certaine nervosité se propage comme électricité. Les plus jeunes ne veulent pas que la fête se termine et entament de nouveaux morceaux de musique. Les anciens se dispersent, les personnages et musiciens se noient dans la foule et disparaissent, les policiers s’éloignent.
Notre équipe helvético-bulgare se rassemble au restaurant Opera partageant une soirée bilan autour d’une bonne tablée. C’est un privilège saupoudré de bonheur d’avoir pu vivre tout ça. Trop tôt pour trouver les bons mots.
Le mardi :
Le matin, réunion administrative des responsables des compagnies, les chapiteaux se replient et trouvent refuge dans les camions.
Le mercredi : Jour de repos !
Ilyana nous embarque pour un spectacle de marionnettes en matinée. Dans ce théâtre elle a grandi, quand du temps de l’ère soviétique son père était fonctionnaire comédien marionnettiste de la troupe. Ils ne sont plus que 10 aujourd’hui. Après le spectacle devant des écoliers nous avons le plaisir d’accéder aux coulisses et aux ateliers découvrant maints petits secrets de fabrication.
Le soir nous allons au théâtre voir l’Odyssée au grand théâtre de Plovdiv ! Une méga production avec de nombreux effets vidéos, à l’esthétique très réussie, un peu froid tout de même. Et parmi les 36 personnes aux saluts, il y avait bien 30 acteurs !
Et la petite luciole sur la moustiquaire pour la dernière nuit avant de m’endormir.
Le matin du départ
Mme responsable Parc et Jardin en pleurs nous offrant des petits pots de plante verte. Elle est toute petite, s’appelle Elie, toute jolie avec son chapeau de paille. Elle embrasse tout le monde. Les gars de la voirie nous saluent et nous souhaitent bon retour, ils sont arrivés ce matin avec 3 tondeuses à gazon aux couleurs noires et jaune fluorescent. Sur les roues un sigle évoquant la marque Mercedes. Une bouteille de bière de 3 litres sanglée sur le côté de la tondeuse. C’est la réserve d’essence. L’herbe a bien poussé depuis notre arrivée. Une employée de la voirie est venue voir le spectacle des italiens, avec sa salopette verte, ses épaules oranges et sa casquette de base-ball ! Une autre dame toute émue me salue en italien. Je lui réponds en espagnol. Elle me dit que le bulgare est très proche du russe.
Et puis la route…
Vendredi soir
Igoumenitsa valse
Encore une fois nous assistons médusés à l’incroyable chorégraphie des poids lourds qui se croisent et s’entrecroisent dans tous les sens. Tous se meuvent en même temps sans jamais se toucher, un peu comme le tango, c’est passionné tout en maintenant la distance. Un coup de sifflet nous jette dans la mêlée et nos attelages grimpent dans les entrailles du vaisseau. Nous retrouvons nos « crew-men » fluos aboyant leurs consignes en multilangue. Le navire a 2 heures de retard. Probablement dû à un moteur. La vitesse de croisière est inférieure à la moyenne. Les couchettes nous réceptionnent à l’horizontale…
Samedi matin
Les plus mauvaises routes rencontrées lors de notre périple sont celles d’Ancona. Dès la sortie du ferry, les caravanes sont ballotées en tout sens, cahotant et hoquetant à en perdre haleine. Le défilé continuel des poids lourds recrachés par les ferries ont achevé le profil des routes, comme des titans de 35 tonnes martelant le bitume. Et ceux jusqu’à l’autoroute.
Notre équipage se réduit encore.
Yasmine, Denis et leurs filles Niki et Dune attendent les secours TCS à Ancona. Un mystérieux voyant rouge les intime à ne pas aller plus loin et nous sommes samedi soir. Louis part directement par le tunnel du Fréjus pour rejoindre la douane de Genève-Bardonnex ouverte 24h sur 24. Alain est parti à la rame vers Lyon. Nos amis belges se séparent en 2 groupes. Simon et Julie remontent directement en Belgique en espérant dormir vers Brigue. France et Andréas filent au camping Due Laghi de Ferrare repéré par Yasmine. Les arTpenteurs ne forment plus qu’un convoi de 3 véhicules. Nous apprenons que Corinne est bien arrivée à Igoumenitsa, prête à embarquer ! Elle nous rejoindra samedi soir au camping Due Laghi. Qui est à Ferrare, ville où résident nos amis italiens du Teatro Nucleo ! Nous devrions retrouver Marco et déjà parler d’avenir… Quant à la plupart, on les retrouvera cet été à Bruxelles au Festival Théâtres Nomades !
On vient d’apprendre à l’instant que Yasmine reprend la route et quitte Ancona vers 21h30. Arrivée estimée : 1h du matin. Quand je vous dis que le temps n’est plus le même quand on voyage…
Une journée de repos au camping agrotouristique de Due Laghi près de Ferrare. Baignade, soleil, farniente et gelatti. Nous sommes rejoints par les comédiens du Teatro Nucleo. En soirée Marco et Veronica nous emmène découvrir leur théâtre : Le teatro Julio Cortazar où nous rencontrons son fondateur Horacio vieil acteur argentin ayant roulé sa bosse aux 4 coins de la planète. Nous évoquons la Mir Caravane qui reliant Moscou à Paris avant la chute du mur en 89 était passée par Lausanne. Et nos grands maîtres de l’est disparus qui avaient révolutionné le théâtre d’alors. Laurent, Lorin et Yvan écoutent la vieille génération. Entre sagesse et utopie.
Aujourd’hui, comme à chaque époque, le théâtre semble à la croisée des chemins, toujours à réinventer.
Mais à tout âge le rêve nous conduit sur des chemins fabuleux qui apparaissent au fur et à mesure sous nos pas.
Ainsi nous arTpentons.
à bientôt
Thierry Crozat